Les historiens et autres chercheurs qui s’intéressent de près ou de loin à la période de la République helvétique ou à celle de la Médiation connaissent la Société des études robespierristes. Celle-ci a édité en 1974 La Suisse et la Révolution française d’Alfred Rufer, recueil préparé par Jean-René Suratteau et reprenant, entre autres textes, le célèbre article du Dictionnaire historique et bibliographique de la Suisse concernant l’Helvétique. Cette société montre à nouveau son intérêt pour l’historiographie suisse en consacrant le septième numéro de sa Collection des études révolutionnaires à la publication des actes de la «Journée d’étude du 3 mars 2003 à la Sorbonne». Ceux-ci sont ainsi assemblés dans un recueil de 250 pages dirigé par Alain-Jacques Czouz-Tornare au grand titre quelque peu provocateur: Quand Napoléon Bonaparte recréa la Suisse. Les sous-titres, convenus, rassurent aussitôt le lecteur inquiet: «La genèse et la mise en oeuvre de l’Acte de Médiation» et les «aspects des relations franco-suisses autour de 1803» seront abordés selon les objets classiques de la période. Une première série d’articles porte sur les thématiques soufflées par les modifications territoriales programmées par l’Acte de Médiation. Les nouveaux cantons (Tessin, Vaud, Argovie, St-Gall, Grisons) sont ici pensés comme autant de cas particuliers venant éclairer la nouvelle historiographie de cette période. Une seconde série d’articles est consacrée à l’armée comme «école de la nation» et à Frédéric-César Laharpe, objets tout aussi familiers. Pour mettre en perspective ces textes, deux travaux plus généraux viennent encadrer ces études de cas. L’une incite à penser l’Acte de Médiation comme une «Médiation armée»; l’autre porte sur la «commémoration du bicentenaire» et sur «l’historiographie de la Médiation».

Une thèse traverse ce recueil, qui mérite d’être suivie prudemment, celle de Czouz-Tornare: «La période allant de 1798 à 1848 reste dans une large mesure considérée comme un temps mort, insignifiant, incompréhensible, pour preuve le peu d’intérêt qui lui est généralement consacré» (p. 9). Profitant d’une vague commémorative, celui-ci nous rappelle, bibliographie à l’appui, que la production discursive des historiens suisses et étrangers évitait soigneusement le sujet sensible de la Médiation. Les raisons sont évidemment d’ordre affectif: la période est «dérangeante» puisqu’elle nécessite de reconnaître «le rôle de l’étranger dans la formation territoriale et politique de notre pays». Mais les temps changent et les historiens savent déplacer leurs questions: l’Acte de Médiation n’est-il pas avant tout un texte imprimé qu’il s’agit d’historiciser?

Parfait exemple des nouvelles formes de la typographie contemporaine, ce livre est agrémenté d’illustrations (cartes et portraits) et de riches annexes (une «bibliographie» du «Bicentenaire de la Révolution Helvétique» et une chrono logie de la «Médiation armée»). De nombreux et longs passages portant sur l’Helvétique sont même rédigés en guise de contextualisation ou d’historique. En somme, le soin donné aux formes discursives et matérielles de ce bel ouvrage aux titres multiples nous éclaire parfaitement sur le savoir-faire des «historiens francs-tireurs» dont parle Czouz-Tornare. Ils connaissent leur métier!

Citation:
Pascal Delvaux: Compte rendu de: A.-J. Tornare (éd.): Quand Napoléon Bonaparte recréa la Suisse. La genèse et la mise en oeuvre de l’Acte de Médiation. Aspects des relations franco-suisses autour de 1803 (Collection études révolutionnaires No 7). Paris, Société des études robespierristes, 2006. Première publication dans: Revue suisse d’histoire, Vol. 56 Nr. 3, 2006, pages 361-362.